« 2008, Année internationale des langues » de l’ONU : le rôle de la France
13 avr 2008, Par Giordan Henri
En mai 2007, l’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé 2008 2008 année internationale des langues.
Par cet acte, l’Assemblée générale demande
aux États membres d’encourager la conservation et la
défense de toutes les langues parlées par les peuples du
monde entier.
Il faut souligner que cette décision a été prise
sur proposition de M. Jean-Marc de La Sablière, Ambassadeur de
la France auprès des Nations Unies. Pour soutenir cette
initiative, notre Ambassadeur a affirmé : « Le droit
à l’usage de sa langue, la capacité à
communiquer et donc à comprendre et se faire comprendre, la
préservation d’un héritage souvent vieux de
plusieurs siècles ou millénaires doivent bien être
au cœur de la mission des Nations Unies ». Et il a
souligné que cette résolution constitue « une
étape importante pour l’action des Nations Unies, car le
multilinguisme est l’équivalent linguistique, culturel,
voire civilisationnel du multilatéralisme ».
Nous pouvons être fiers de cette initiative de la France.
Cependant, notre pays, pour soutenir cette politique en faveur du
multilinguisme, devra prêcher par l’exemple et redessiner
sa propre politique linguistique. La France ne peut plus
désormais se contenter de défendre les positions du
français sur la scène internationale. Elle doit instituer
une valorisation des langues qui font la richesse de sa culture : la
France est l’un des grands pays de l’Union
européenne dotés du plus riche patrimoine linguistique.
Elle compte, sur son territoire métropolitain, une dizaine de
langues régionales, du basque à l’occitan sans
oublier le « chtimi » (picard) et les dialectes germaniques
d’Alsace et de Lorraine. À cette liste s’ajoute un
nombre important de langues de communautés d’implantation
ancienne (arménien, rromani [langue des Tsiganes], yiddish) ou
plus récente (arabe, berbère). Si on considère les
Départements et Territoires d’outre-mer, la liste des
langues dont la France a la responsabilité de garantir
l’existence s’allonge…
La France a depuis longtemps engagé une politique de
défense de la diversité culturelle au niveau
international.
Il n’en va pas de même pour ce qui est de la valorisation
de sa propre diversité linguistique. La ratification du texte
normatif européen le plus important dans ce domaine, Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, a été rendue impossible par une une décision du Conseil constitutionnel
qui remonte à 1999 et sur lequel on n’est pas revenu
depuis malgré des demandes insistantes de nombreux
Parementaires. Cela est d’autant plus regrettable que ce texte
est aujourd’hui ratifié par 22 États
européens et notamment par l’Allemagne, l’Autriche,
le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la Norvège, les
Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse.
Le dernier acte législatif concernant les langues de France remonte à …1951 (Loi Deixonne sur l’« Enseignement des langues et dialectes locaux »).
Depuis plus d’un demi-siècle, le législateur
s’est contenté de légiférer sur la langue
française et de modifier l’article 2 de la Constitution
pour déclarer que « la langue de la République est
le français » (1992).
Si nous voulons tenir notre rang sur la scène internationale, il
faut ouvrir ce chantier sans tarder : engager le processus de
ratification de la Charte et moderniser notre législation comme
la plupart des grands pays de l’Union européenne
l’ont fait ces dernières années.
ENGAGER LE PROCESSUS DE RATIFICATION DE LA CHARTE. Il est tout à
fait possible de modifier la formulation de l’article 2 de notre
loi fondamentale (« La langue de la République est le
français ») en complétant le texte actuel : «
La langue de la République est le français, dans le
respect des autres langues de France ». Une autre solution, elle
aussi souvent proposée, consiste à ajouter un article
autorisant cette signature : « La République
française peut adhérer à la Charte
européenne des langues régionales ou minoritaires,
signée le 7 mai 1999 ».
Aujourd’hui cette décision semble très fortement
compromise par les choix du Président de la République.
Lors de sa campagne, M. Sarkozy a opposé un refus sans appel
à toute ratification de la Charte et s’est montré
en revanche favorable à une loi sur les langues
régionales.
Le candidat a des accents d’un lyrisme résolu pour
célébrer la langue française qui n’est pas
seulement la langue de la France, mais tout simplement « la
langue humaine », « le droit de penser autrement ».
Dans ces brûlantes déclarations d’une passion
nationale irrésistible, il fait cependant une place aux «
langues régionales » qu’il englobe à juste
titre dans le patrimoine linguistique de la France (discours de Caen, le 9 mars 2007 et de Besançon, le 13 mars.).
Les langues régionales étant ainsi situées au plus
intime de la substance de la Nation, il n’est pas surprenant que
M. Sarkozy refuse qu’une instance internationale vienne
s’immiscer dans la gestion de cette réalité.
D’où une position très ferme :« Si je suis
élu, je ne serai pas favorable à la Charte
européenne des langues régionales ». Le candidat
n’est pas loin de reprendre à son compte une lecture
très contestable que certains groupuscules font de la Charte en
la dénonçant comme une arme au service d’on ne sait
quels militants d’un fédéralisme ethnique
européen qui serait en réalité un ordre ethnique
voulu par l’Allemagne :
«
Je ne veux pas que demain un juge européen ayant une
expérience historique du problème des minorités
différente de la nôtre, décide qu’une langue
régionale doit être considérée comme langue
de la République au même titre que le Français. Car
au-delà de la lettre des textes il y a la dynamique des
interprétations et des jurisprudences qui peut aller très
loin. J’ai la conviction qu’en France, terre de
liberté, aucune minorité n’est opprimée et
qu’il n’est donc pas nécessaire de donner à
des juges européens le droit de se prononcer sur un sujet qui
est consubstantiel à notre identité nationale et
n’a absolument rien à voir avec la construction de
l’Europe » (discours de Besançon, 13 mars 2007).
C’est le contraire qui est vrai. La Charte européenne des
langues régionales ou minoritaires est précisément
un texte qui vise exclusivement la protection des langues
régionales ou minoritaires comme réalité
culturelle indépendante de toute question de droits des
minorités. Et, surtout, la protection de la diversité
linguistique est au cœur de la construction
européenne.à l’échelle du Continent, la
prise en compte de la diversité linguistique ne saurait se
ramener à la défense de la place de quelques langues
nationales des États les plus puissants face à
l’hégémonie de l’anglais. Nous sommes
actuellement dans une Europe linguistique à deux vitesses : les
langues les plus importantes, par le nombre de locuteurs ou leur poids
économique, cherchent à occuper chacune l’espace le
plus large et les autres survivent comme elles peuvent ! Le
multilinguisme des langues d’États entretient cette
concurrence sauvage.
Aucun État européen, à part le Royaume-Uni, ne
pourra gagner cette guerre des langues. Il est essentiel que la
victoire soit une victoire de l’Europe tout entière. Pour
cela, il faut changer radicalement de stratégie. Le combat entre
les « grandes » langues, anglais, français, allemand
(et quelques autres qui pourraient tenter de s’engager dans cette
arène) est sans avenir. Pour sortir de ces affrontements
stériles, il est essentiel de promouvoir un respect de la
diversité linguistique qui ne saurait avoir de limites. Le
respect de l’allemand, de l’espagnol, du français ou
de l’italien n’est pas différent de celui que
l’on doit au basque, au breton, au corse, à
l’occitan ou encore à l’arabe, au berbère ou
à l’arménien…
UNE GRANDE LOI POUR LES LANGUES DE FRANCE. Bien entendu, il est
possible d’instaurer une politique linguistique en faveur du
multilinguisme en faisant l’économie de cette signature.
C’est le choix que M. Sarkozy a fait : lors de sa campagne
électorale, il s’est clairement prononcé en faveur
« d’un texte de loi posant la reconnaissance juridique des
langues régionales de France » afin de «
sécuriser une fois pour toutes » leur situation [Lettre du 2 avril 2007 au Président du Comité français du Bureau Européen pour les Langues Moins Répandues.].
Il est tout à fait cohérent avec ces positions de la plus
haute autorité de l’État que toute modification de
la Constitution sur ce sujet ait été refusée une
énième fois par l’Assemblée nationale le 15
janvier 2008 lors de la discussion sur la modification de la
Constitution permettant la ratification du traité de
Lisbonne.
Allons-nous avoir pour autant l’occasion de rendre compte
prochainement d’un projet de loi enfin déposé par
le Gouvernement ? Mme Rachida Dati l’a laissé entendre
lors de ce débat à l’Assemblée nationale en
s’engageant, au nom du Gouvernement « à ce
qu’un débat parlementaire ait lieu sur la délicate
question des langues régionales » [Assemblée nationale, Compte rendu analytique officiel, 15 janvier 2008].
Ce serait enfin une manière d’inaugurer avec éclat
la présidence française de l’Union
européenne et d’honorer les prises de position de la
France aux Nations Unies.
Henri Giordan
Directeur du projet Langues d’Europe et de la Méditerranée (LEM)