Félibrige Le 19 Novembre 2003

Mouvement Parlaren 

Centre Régional d’Etudes Occitanes de Provence

A Mesdames et Messieurs les Elus

de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur

Mesdames, Messieurs,

Dans la séance plénière du 17 Octobre 2003, les élus de la majorité du Conseil Régional ont adopté un vœu concernant " la langue provençale et la langue niçoise, langues régionales de la Provence-Alpes-Côte d’Azur ". Ce vote démontre un intérêt incontestable, quoique bien tardif, pour les objectifs que poursuivent depuis fort longtemps nos trois mouvements, qui représentent de loin la très grande majorité des militants préoccupés par la défense et la promotion de notre langue. Il est malheureusement trop rare qu’une collectivité régionale exprime ainsi son soutien aux langues de France parlées sur son territoire pour que nous ne saluions pas l’initiative de notre Conseil Régional.

Nous tenons toutefois à attirer l’attention des élus de notre région sur les dangers que présente la méthode et la formulation adoptées en cette occasion. Nous sommes d’abord particulièrement surpris de n’avoir pas été consultés en la matière, alors que notre connaissance et notre expérience du sujet auraient évité les conséquences problématiques que risque bien d’engendrer une intention pourtant louable. Le vœu s’écarte en effet, au moins sur un point que nous jugeons fondamental, des conclusions du rapport élaboré à la demande de M. le Président Vauzelle par M. Philippe Langevin, établi après une consultation tout à fait exhaustive des mouvements culturels régionaux, et restitué à son commanditaire voilà bientôt cinq ans. Ce rapport très élaboré, intitulé comme vous le savez " Une nouvelle ambition pour la langue et la culture régionale en Provence-Alpes-Côte d’Azur ", est resté à peu près totalement lettre morte alors même qu’il contient un ensemble de propositions concrètes très pertinentes pour les objectifs considérés.

Le point que nous soulevons concerne, dans la rédaction du vœu, l’ambiguïté qui laisse entendre que " la langue provençale et la langue niçoise " devraient être séparées de la langue d’Oc dans son ensemble, qui pourtant forme une unité évidente de Nice à Bordeaux et de l’Auvergne à la Catalogne, dans le respect absolu de la diversité de ses expressions. Nous sommes en cela totalement fidèles aux conceptions de Frédéric Mistral, qui a constamment affirmé sans la moindre réserve la totale unité de la langue d’Oc, et, s’il a effectivement employé le terme de " langue provençale ", l’a utilisé, suivant l’usage de son époque, comme l’exact synonyme de " langue d’Oc ", comme le prouvent sans la moindre ambiguïté les définitions de son grand dictionnaire " Lou Tresor dóu Felibrige ".

On voit donc que la formulation malheureuse de " langue provençale et niçoise " crée une confusion d’autant plus dommageable qu’elle entre en contradiction avec des textes nationaux qui eux traitent évidemment la langue d’Oc dans son unité, comme c’est le cas de la quasi-totalité des textes de l’Education Nationale, à commencer par le concours de recrutement des professeurs de cette langue, qui est commun à l’ensemble des régions d’Oc, et qui porte le titre de " C.A.P.E.S. d’Occitan-Langue d’Oc ".

S’il est vrai que le grand public reste malheureusement encore bien mal informé sur la langue régionale, qu’il dénomme d’ailleurs bien souvent du terme inacceptable de " patois ", l’idée qu’on puisse séparer le langage de notre région du reste de la langue d’Oc heurte profondément le sentiment de tous ceux qui sont fidèles à la pensée de Mistral et de la quasi-totalité des linguistes modernes ; elle a déjà provoqué de vives réactions dans de nombreux milieux, en Provence, dans le reste du pays d’Oc, et dans la communauté internationale des chercheurs spécialistes de notre langue.

Ces débats en effet n’ont rien d’accessoire. Ils conditionnent l’avenir de notre langue régionale, dont le dynamisme a un besoin vital de l’union de toutes les régions de langue d’Oc pour surmonter les attaques dont les injustices de l’histoire et l’inertie des pouvoirs publics ont accablé notre moyen d’expression originel. Valoriser l’unité de la langue d’Oc donne à notre Région un horizon à sa mesure pour la diffusion de sa production artistique et littéraire, de ses innovations de tous ordres, de sa musique, aussi vivace dans la tradition de qualité que dans le rap et le rock de nos métropoles, et une large ouverture sur le monde latin et méditerranéen, dans une perspective autrement libératrice que les frontières étroites et le fractionnement qu’on veut lui imposer.

Il nous paraît donc urgent que l’ensemble des élus de Provence se mobilisent pour que voie enfin le jour une politique cohérente et consensuelle de développement de notre langue qui lui fait actuellement défaut, d’autant plus si on la compare aux efforts de régions telles que le Languedoc-Roussillon ou la Bretagne. Ce sera l’occasion de revenir sur la dénomination contestable de " langue provençale et langue niçoise ", que nous demanderons instamment à la future Assemblée régionale, quelle que soit sa majorité, de reconsidérer. Les mouvements de promotion de la langue sont jusqu’à une date récente demeurés dans l’attente de voir se concrétiser au niveau régional l’application du rapport Langevin. Il est évident qu’ils vont désormais adopter une attitude de proposition et de sollicitation beaucoup plus active, pour laquelle ils ont incontestablement besoin de l’appui de leurs élus.

C’est le sens de notre démarche auprès de vous, et nous en augurons bien, sachant que beaucoup d’entre vous ont déjà démontré très concrètement leur intérêt pour notre langue régionale.

Nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de notre très haute considération.

 

Marc AUDIBERT Président du Mouvement Parlaren

Pierre FABRE Capoulié du Félibrige

Jean SAUBREMENT Président du Centre Régional d’Etudes Occitanes de Provence

Copie à Monsieur le Premier Ministre

Copie à Monsieur le Ministre de la Culture

Copie à Monsieur le Ministre de l’Education Nationale

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