Une
nouvelle fois la reconnaissance du patrimoine que constitue les langues
régionales est remise aux calendes grecques : Voir
l'éditorial.
Nous reproduisons ci dessous le débat au sein de la
commission de l'assemblée nationale en charge de la
préparation du congrès.
Compte
rendu analytique officiel -
Séance
du mardi 15 janvier 2008
3ème séance Séance de 21 heures 30
99ème
séance de la session
Présidence de M. Marc Laffineur, Vice-Président
Mme Marylise Lebranchu – Le nom de Simon Renucci a
malencontreusement été omis de la liste des
signataires
de l’amendement 12, qui vise à prendre acte de la
Charte
européenne en faveur des langues régionales,
signée le 7 mai 1999 mais non ratifiée en raison
d’une décision du 15 juin 1999 du Conseil
constitutionnel
– saisi par le Président de la
République –
invoquant le premier alinéa de l’article 2 de la
Constitution. Nous espérons ainsi résoudre un
problème auquel nous avons vainement tenté, lors
de
l’examen d’autres textes, d’apporter une
solution.
Il s’agit, sans mettre en péril la
République
– dont la langue, le français, est
protégée
par cet article 2 –, de rendre justice à ceux qui
furent
humiliés par l’obligation, souvent
imposée
dès l’école primaire, de renoncer
à leur
langue maternelle – humiliation dont notre
société
porte encore la marque. Il s’agit en outre de permettre
à
la France de s’enrichir de ses cultures et de ses langues
à l’heure où l’on parle
volontiers de
diversité. Du reste, le Président de la
République
a récemment déclaré vouloir encore
étendre
les créneaux horaires dont bénéficient
déjà ces langues sur les chaînes de
télévision régionales. Nous proposons
donc de
compléter le premier alinéa de
l’article 2 de la
Constitution par les mots : « dans le respect des langues
régionales qui font partie de notre patrimoine »
(Applaudissements sur les bancs du
groupe SRC).
M. Michel Vaxès – Très bien !
M. Marc Le Fur – L’amendement 13 porte sur le
même
sujet, qui passionne nos concitoyens – comme le savent bien
les
élus de circonscriptions où les langues,
l’identité, la culture régionales
revêtent
une importance particulière –, non seulement ceux
qui
parlent les langues régionales mais ceux qui, sans les
pratiquer, y voient l’expression de leur identité
et de
leur culture. Il n’y a là nulle nostalgie, puisque
ce sont
les jeunes générations qui sont les plus
attentives
à ces questions, auxquelles les groupes de musique, mais
aussi
Internet, les ont sensibilisées.
Pourquoi aborder ces questions à l’occasion du
débat sur la réforme constitutionnelle ? Parce
qu’un débat serein sur la Charte
présuppose de
lever le veto que lui a opposé en 1999 – Mme
Lebranchu
l’a rappelé – le
Conseil constitutionnel. Tel est l’objet de cet amendement.
Contrairement à ce qu’objecteront certains, il ne
s’agira pas de traduire dans les langues
régionales les
jugements des tribunaux ou les circulaires administratives : pour
qu’un pays adopte la Charte, il lui suffit
d’approuver 35
des 98 dispositions qu’elle contient – en
l’espère, celles qui ne menaceront pas nos
traditions et
qui portent par exemple sur les médias ou sur
l’enseignement, déjà fort, en Bretagne,
en Alsace,
au pays Basque, en Catalogne ou en Corse, de réseaux
publics,
privés ou associatifs. Il ne s’agira pas non plus
d’ouvrir grand la porte aux langues de
l’immigration
(Exclamations sur les bancs du groupe GDR), puisque la Charte ne porte
que sur les langues locales.
On m’objectera sans doute aussi que ce n’est pas
l’objet du débat. Mais ne nous penchons-nous pas
sur un
sujet européen par excellence ? Pouvons-nous nous satisfaire
que
la France soit, avec l’Italie, le seul Etat membre de
l’Union à ne pas avoir ratifié la
Charte ? Enfin,
le Président de la République nous invite
à nous
enrichir de notre diversité ; de cette diversité,
les
langues régionales sont l’un des premiers
éléments.
Pour toutes ces raisons, nous vous proposons d’adopter
l’amendement, qui ne vise pas à
l’adoption de la
Charte mais à la levée des obstacles
constitutionnels
préalables à son adoption. (Applaudissements sur
plusieurs bancs du groupe UMP).
M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur et président de la
commission
– La commission a exprimé un avis
défavorable
à ces deux amendements. D’une part, tout son
travail a
porté, depuis des semaines, sur la révision
constitutionnelle indispensable à la ratification du
traité de Lisbonne et sur ce la seulement.
D’autre part, le président de la
République a pris
l’engagement d’ouvrir un débat sur la
réforme
de nos institutions. Dans ce contexte, l’adoption des
amendements
me paraît tout à fait inopportune. En revanche,
une
réflexion se justifie pleinement sur les langues
régionales, qui font partie de notre patrimoine et qui,
à
ce titre, doivent être préservées et
transmises.
Savoir s’il faut, pour autant, aller
jusqu’à
modifier la Constitution est une autre histoire, et je viens
d’ailleurs d’entendre dire que les objectifs
visés
peuvent déjà être atteints.
Faut-il ratifier la Charte ? Si cela n’a pas
été
fait à ce jour, c’est que le texte comporte une
seconde
partie ainsi rédigée que, si nous le ratifiions,
une
majorité pourrait un jour donner le droit imprescriptible
d’utiliser dans la vie publique une autre langue que le
français – le voulons-nous ? (Exclamations sur les
bancs
du groupe SRC)
Quoi qu’il en soit, la sagesse commande,
aujourd’hui, de
s’en tenir au chemin tracé, qui est de permettre
la
révision constitutionnelle, préalable
indispensable
à la ratification du Traité de Lisbonne. Le
Gouvernement
saura nous dire comment il envisage la suite, s’agissant des
langues régionales, qui participent en effet de notre
patrimoine
commun, et si une révision constitutionnelle peut se
concevoir
– mais nul ne peut prétendre que tout serait par
là
même réglé.
La commission appelle l’Assemblée à
rejeter ces
amendements et à permettre la ratification du
traité de
Lisbonne, grande victoire pour la France et pour le
Président de
la République. (Applaudissements sur de nombreux bancs du
groupe
UMP)
M. Pierre Lequiller, président de la
Délégation
pour l’Union européenne – Je partage ce
point de
vue. D’autres questions « européennes
» se
posaient – celle du système de ratification de
l’adhésion de nouveaux membres de
l’Union –
mais nous avons choisi de ne pas les traiter aujourd’hui et
de
nous en tenir strictement à la révision de la
Constitution nécessaire à la ratification du
traité de Lisbonne. Restons-en là, et
étudions
ultérieurement la question des langues régionales.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Le Gouvernement exprime
un
avis défavorable sur les amendements, qui
n’entrent pas
dans le champ de la modification du titre XV de la Constitution qui
vous est soumise, mais il s’engage à ce
qu’un
débat parlementaire ait lieu sur la délicate
question des
langues régionales.
M. le Président – Étant
donné
l’importance du sujet, je donnerai exceptionnellement la
parole
à un représentant de chaque groupe avant
d’inviter
l’Assemblée à passer au vote.
M. Pierre Méhaignerie – Partageant la conviction
de celles
et de ceux qui jugent nécessaires d’accorder une
particulière attention à l’exigence de
reconnaissance d’identité et de racines,
j’ai
cosigné l’amendement de notre collègue
Le Fur.
Mais, prenant acte de l’engagement du Gouvernement, je pense
que
nous ne devons pas brouiller le message européen, et je ne
voterai donc pas l’amendement (Applaudissements sur plusieurs
bancs du groupe UMP).
M. Patrick Roy – Un pas en avant, deux pas en
arrière !
M. Jean Lassalle – J’observe que ce n’est
jamais le
bon moment d’aboutir à un texte que nous aurions
pourtant
dû adopter il y a déjà longtemps ! Le
temps
n’est-il pas enfin venu de rattraper ce grand retard en
levant
l’embargo qui empêche l’apprentissage des
langues
régionales en France ? C’est notre tradition,
notre
culture, notre patrimoine, et la France n’a pas à
en
rougir. S’il y a du souci à se faire,
c’est
plutôt au sujet de l’inexorable progression de
l’anglais !
M. Jean-Jacques Urvoas – Alors que la diversité
est une
des richesses de la République, on nous dit toujours que le
moment d’un tel débat est mal choisi. Les
mêmes
amendements ont été
présentés, avec les
mêmes arguments, le 24 janvier 2005, et le Gouvernement de
l’époque a pris le même engagement :
« on en
discutera plus tard » ! Pourtant, est-il sujet plus
européen ? Sait-on que, depuis 1993, tout Etat
adhérant
à l’Union doit obligatoirement signer la
Charte…
M. Jean-Luc Warsmann – C’est inexact.
M. Jean-Jacques Urvoas – …que la France a
elle-même
signée en 1999 ? Pendant que nous tergiversons et repoussons
la
discussion, les langues régionales sont peu à peu
menacées d’extinction. Je plaide donc en faveur de
l’adoption des amendements et de la modification de la
Constitution à ce sujet (Applaudissements sur plusieurs
bancs
des groupes SRC, GDR et UMP)
M. Michel Vaxès – Comme cela a
été
rappelé, la question a été
abordée le 24
janvier 2005. A l’époque, il nous avait
été
dit que, certes, le sujet était intéressant mais
que les
divergences au sein des différents
groupes au sujet de la composition du corps électoral en
Nouvelle-Calédonie – objet du débat
général – étaient telles que
des
incertitudes pesaient sur l’aboutissement de la
révision
constitutionnelle. Aujourd’hui, l’issue du scrutin
est
certaine. Quel risque prendrions-nous à suivre Mme
Lebranchu,
alors que nous venons d’entendre dire, sur tous les bancs,
que
les langues régionales font partie de notre patrimoine
culturel
et qu’à ce titre elles doivent être
préservées ? Inscrivons-le dans la Constitution !
Comme
les autres élus communistes, unanimes, je soutiendrai
l’amendement 12 avec beaucoup de conviction.
Les amendements 12 et 13, successivement mis aux voix, ne sont pas
adoptés.
M.
Jean-Luc Mélenchon : Parce que c'est nous ! La profondeur
d'une telle réflexion laisse sans voix. Mais finalement quoi de
plus normal dans la bouche d'un Jean-Luc Mélenchon. Ah au fait on supprime quand le sénat au profit d'une assemblée des régions?
Sénat
Compte rendu analytique officiel du 29 janvier 2008
Titre XV de la Constitution (Suite)
Discussion générale (Suite)
[...]
Discussion des articles
Article additionnel
Mme
la présidente. - Amendement n°5, présenté par
MM. Marc, Bel, Auban et Courteau, Mmes Y. Boyer, Bricq et Campion, MM.
C. Gautier et Gillot, Mmes Herviaux et Jarraud-Vergnolle, MM. Josselin,
Journet, Le Pensec, Lise, Miquel, Muller, Pastor, Piras et Ries, Mme
Schillinger, MM. Sueur et Sutour et Mme Voynet.
Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 53-2 de la Constitution, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. ... - Dans le respect du premier alinéa de
l'article 2, la République française peut ratifier la
Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
du Conseil de l'Europe. »
M. François Marc. - De nombreuses langues minoritaires et
régionales sont en péril dans notre pays : l'occitan, le
basque, l'alsacien ou encore le breton connaissent une diminution
considérable du nombre de leurs locuteurs. Face à ce
problème majeur, le Président Chirac avait
insisté, le 2 février 2003, lors des rencontres
internationales de la culture, sur l'importance d'une mobilisation pour
enrayer la disparition des langues dans le monde. En effet, au rythme
actuel, la moitié des langues aura disparu d'ici un
demi-siècle. Cette perte serait incommensurable ! Avec la
montée en puissance de la langue anglaise, en Asie comme partout
dans le monde, le sort du français lui-même sera
peut-être en jeu dans quelques décennies...
D'où notre volonté de préserver ce patrimoine. Si
nous voulons consolider les dispositifs éducatifs de
transmission de ces langues et manifester l'engagement des pouvoirs
publics dans ce sens, la signature de la Charte des langues
régionales constituerait un signe incitatif. Le gouvernement
Jospin avait signé certains articles jugés conformes
à la Constitution. Aujourd'hui, la mise à jour de cette
dernière dans le sens proposé permettrait de
remédier aux difficultés que rencontrent ces langues. La
langue française -dont nous tenons à réaffirmer
d'ailleurs la suprématie en tant que garante de l'unité
nationale- n'est ni remise en cause ni menacée. Au moment de la
signature de la Charte, il était précisé que
celle-ci serait ratifiée « dans la mesure où elle
ne vise pas à la reconnaissance et à la protection de
minorités, mais à promouvoir le patrimoine linguistique
européen et que l'emploi du terme de groupe de locuteurs ne
confère pas de droit collectif pour les locuteurs de langues
régionales ou minoritaires ». Ce qui est en cause, c'est
la reconnaissance officielle de la diversité culturelle. Partout
où cette question est traitée en Europe depuis une
quinzaine d'années, elle est perçue comme source
d'avancées démocratiques. Pourquoi ne serait-ce pas aussi
le cas en France ?
M. Jean-Luc Mélenchon. - Parce que c'est nous !
M. François Marc. - Face au péril qui menace ces langues,
l'adoption de la Charte leur apporterait quelques garanties. Ce n'est
pas la première fois que nous présentons cet amendement ;
on nous répond toujours que ce n'est pas le moment ou que le
Gouvernement prendra des initiatives dans ce sens. Or, rien n'est fait.
Notre démarche n'a rien de communautariste. Au contraire, elle
se veut un remède à l'humiliation qui peut pousser
certains à de telles dérives. Il est temps que le
Parlement puisse traiter sereinement cette question !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Il fallait le dire en breton !
M. Patrice Gélard, rapporteur. - L'amendement apparaît en
effet à chaque révision constitutionnelle, mais nous ne
pouvons pas ratifier la Charte. En 1999, le Conseil constitutionnel a
conclu à l'incompatibilité de certaines de ses
dispositions avec la Constitution, tout en indiquant que ce
n'était le cas d'aucun des trente-neuf engagements souscrits.
Cela n'empêche pas la France de faire une place aux langues
régionales : deux cent cinquante mille élèves du
secondaire reçoivent des cours dans ces langues dont la place a
d'ailleurs été accrue dans l'enseignement
supérieur.
En revanche, le Conseil constitutionnel a jugé que l'adoption de
la Charte conférerait des droits spécifiques aux
locuteurs à l'intérieur des territoires où ces
langues seraient pratiquées, portant ainsi atteinte aux
principes constitutionnels d'indivisibilité de la
République, d'égalité devant la loi et
d'indivisibilité du peuple français.
M. Jean-Luc Mélenchon. - Excellent !
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Elle ouvrirait également
le droit à pratiquer une langue autre que le français
dans la vie privée, mais aussi dans la vie publique, ce qui est
aussi contraire à la Constitution. Un tel choix mérite un
débat plus important, par exemple lors de la grande
révision constitutionnelle du printemps prochain !
Défavorable.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Les langues régionales ne
sont pas l'objet du présent texte. Le Gouvernement n'entend
d'ailleurs pas rouvrir pour l'instant ce débat : l'occasion s'en
présentera à l'occasion de la prochaine révision
constitutionnelle, comme le Premier ministre en a pris l'engagement
à l'Assemblée nationale lors de la discussion d'un
amendement similaire. L'enseignement des langues régionales est
garanti en France. Aller au-delà serait reconnaître le
droit de pratiquer, notamment dans les administrations, d'autres
langues que le français, ce qui ne serait pas acceptable.
Retrait, sinon avis défavorable.
M. Roland Courteau. - M. Marc avait raison : ce n'est jamais le moment
de d'adopter des dispositions qui permettraient de ratifier la Charte.
Pourtant, le Président de la République ne nous
invitait-il pas récemment à nous enrichir de notre
diversité ? Or les langues régionales sont un
élément fondamental de notre culture, de notre histoire
et de notre patrimoine. Faute d'une reconnaissance officielle, elles
sont menacées de disparition. L'an prochain, nous
célébrerons l'année internationale des langues :
adopter cet amendement constituerait un bon exemple.
M. Michel Charasse. - Au fond de ce débat sur les langues
régionales, il y a un malentendu. Si nous voulons ratifier la
Charte, il n'y a aucun inconvénient à le faire et nous
n'avons pas besoin de modifier la Constitution, dès lors que ne
sont pas concernées les dispositions qui lui ont
été jugées contraires par le Conseil
constitutionnel : sont concernés une partie du préambule,
l'article 1A partie 1, l'article 1B et l'article 7, paragraphes 1 et 4.
Les autres articles se bornent à reconnaître des pratiques
qui ont déjà cours en France en faveur des langues
régionales. Les articles faisant problème sont ceux qui
portent atteinte à l'indivisibilité de la
République, à l'égalité devant la loi et
à l'unicité du peuple français.
Or, et je fais appel à la science juridique du doyen
Gélard, lorsque conformément à l'article 54 de
notre Constitution, le Conseil constitutionnel déclare qu'un
traité n'est pas conforme, il a toujours ajouté, depuis
1958, que le texte ne pourra être approuvé qu'après
révision de la Constitution. Pourquoi, pour la première
fois, s'est-il écarté de cette formule intangible, pour
se contenter de dire que la Charte des langues régionales
comporte des clauses contraires à la Constitution ? Parce que
toucher au principe d'indivisibilité de la République,
d'égalité des citoyens devant la loi et d'unicité
du peuple français, c'est toucher à la République,
dont la forme ne peut faire l'objet d'aucune révision.
Comme je ne pense pas que mes amis socialistes aient l'intention de
remettre en cause notre République, la commission des lois
devrait prendre l'initiative de nous sortir de la mélasse de ce
débat récurrent en proposant une rédaction
autorisant la ratification de la Charte et celles de ses dispositions
non déclarées contraires à la Constitution par le
Conseil constitutionnel. Nous obligerions ainsi ceux qui,
attachés aux langues régionales, ont l'impression que
l'on ne veut rien faire, tout en préservant la République
dans ses fondements institutionnels les plus précieux.
M. Jacques Muller. - Bonsoir à tous, solu binander !
(Sourires) Les langues et cultures régionales, que l'on qualifie
de minoritaires, appartiennent au patrimoine vivant de la France et de
l'Europe. Loin de porter atteinte à l'identité
française, l'alsacien, le basque, le breton, le catalan, le
corse, le créole...
M. Jean-Luc Mélenchon. - Lesquels ?
M. Jacques Muller. - ... le flamand, et les autres langues régionales...
M. Robert Bret. - Et la langue d'oïl ?
M. Jacques Muller. - ... la complètent, la renforcent, et
l'enrichissent. Mais notre pays s'est construit, au long des
siècles, sur la négation et la répression de ces
langues et de ces cultures, au nom d'un universalisme abstrait et d'un
jacobinisme dogmatique. (M. Mélenchon s'exclame)
Heureusement, de nombreuses régions ont pris des initiatives en
faveur de l'usage des langues régionales qui, loin d'être
l'expression d'un repli identitaire, sont un facteur d'enracinement et
de cohésion sociale. L'identité nationale n'est pas une
réalité univoque, monolithique, c'est une
réalité complexe et vivante.
La France est un des rares pays, avec l'Italie, à n'avoir pas
ratifié la Charte. Lors de récents débats à
l'Assemblée nationale, le ministre s'était engagé
à régler cette « délicate question ».
Délicate pour qui ? La même promesse nous avait
été faite en 2005, et nous n'avons rien vu venir. Cessons
donc de reporter le débat et que le Gouvernement prenne ses
responsabilités. M. Charasse a fait une proposition
constructive, qui montre que l'obstacle opposé par le Conseil
constitutionnel dans sa décision du 15 juin 1999 peut être
levé. Sous-amendons l'amendement qui nous est proposé
dans le sens qu'il a indiqué. (On s'amuse à droite) Nous
avons perdu assez de temps.
M. Jean-Luc Mélenchon. - Je ne voterai pas l'amendement,
mais je tiens à dissiper un malentendu. Être hostile
à la Charte n'est pas être hostile aux langues
régionales (« Très bien ! » sur plusieurs
bancs à droite) et je tiens à rappeler pour l'honneur de
notre patrie républicaine que personne n'y interdit d'user de la
langue de son choix en famille ou publiquement, de goûter la
musique de son choix dans les nombreux festivals régionaux, et
de se vouer librement à ce en quoi il croit.
Si la dispute porte sur l'application de l'ensemble de la Charte, alors
nous butons sur une difficulté constitutionnelle, laquelle n'est
pas d'ordre technique, mais philosophique.
M. Roger Romani. - Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon. - Il y a des Français, qui,
par conviction philosophique, sont fondamentalement opposés
à l'idée de doter des groupes de locuteurs de droits
particuliers. Ce ne sont pas des jacobins dogmatiques, mais tout
simplement des républicains. La France n'est pas essentialiste.
Elle n'est pas la conjugaison de diversités. Elle est la
communauté légale une et indivisible qui fait qu'entre
l'État et la personne, il n'y a pas d'intermédiaire ; qui
fait que nous sommes tous parties prenantes à la
définition de la loi, laquelle s'applique à tous parce
qu'elle est décidée par tous. Quiconque prétend y
intercaler le droit particulier d'une communauté brise
l'unité. Mes collègues doivent entendre, sans
mépris, ce raisonnement.
S'il s'agit, en revanche, de n'appliquer que les dispositions qui n'ont
pas été déclarées contraires à la
Constitution, je dis que notre droit en a déjà retenu,
avant même que la Charte ne les proclame, un très grand
nombre. N'est-ce pas, ainsi, l'État républicain qui
finance les postes pour l'enseignement de ces langues ? On peut
considérer qu'il n'y en a pas assez, mais c'est un autre
débat.
Et comment parler de langues régionales sans entrer dans leur
définition ? Car de quel créole parle-t-on alors qu'il y
en a sept ou huit ? Quant à la langue bretonne, admirable en
bien des points, nous ne saurions la confondre, alors qu'il en existe
cinq, toutes respectables, avec le manuel qui en concentre
l'apprentissage, et dont l'auteur a, comme l'on sait, été
condamné à mort par contumace. Cessons enfin de ne voir
que des Bretons bretonnants, alors que beaucoup, qui se sentent
suffisamment Français tout en étant Bretons, ne
s'attachent pas à cette bataille.
Quelles langues régionales donc, et combien ? L'ancien ministre
de la formation professionnelle que je suis sait que le vocabulaire
technique manque. S'il ne s'agit que d'appeler une fusée
fuseï, le jeu n'en vaut pas la chandelli ! Et que ceux que je ne
traite pas de communautaristes ne me traitent pas de jacobin
intransigeant, c'est un pléonasme ! (Rires à droite)
Rendre obligatoire l'usage des langues régionales dans les
tribunaux ou la traduction des formulaires administratifs serait un
rempart contre le communautarisme ? C'est le contraire ! Ne confondons
pas notre République une et indivisible avec ces pays où
l'on réprime, en effet, ceux qui ne parlent pas la langue
officielle. Le français est une langue de liberté.
Imposée par les rois, elle a pourtant facilité la libre
circulation des opprimés sur tout le territoire de la
République. La langue française est une langue de
liberté, qui reconnaît la liberté de toutes les
langues. (Applaudissements sur plusieurs bancs à gauche et
à droite)
M. Nicolas Alfonsi. - J'ai appris le corse avant le français, que je continue de pratiquer difficilement (Sourires)
Si j'incline à suivre les arguments de M. Charasse, ils ne
m'interdisent pas de poser une question aux auteurs de l'amendement.
Comment concilier le respect du premier alinéa de l'article 2 de
notre Constitution avec les multiples dispositions de la Charte, dont
beaucoup, M. Mélenchon l'a rappelé, sont
déjà appliquées ?
Si je n'écoutais que mon coeur, je voterai des deux mains cet
amendement. Mais je m'interroge sur ses conséquences. Comment ne
pas comprendre les réticences du Conseil constitutionnel
à la lecture du chapitre 9 de la Charte, relatif à la
justice ? Exigera-t-on, devant les tribunaux, autant d'affidavit qu'il
y a de langues régionales ? Faudra-t-il, de même, traduire
tous les documents administratifs ? Mais qu'est-ce que la langue de la
République sinon celle qui s'applique à la vie
administrative ?
D'où ma perplexité. La solution serait sans doute
législative, et consisterait à extraire de la charte les
points qui permettraient de trouver un accord général.
Si l'amendement était retiré, cela nous rendrait service. (Applaudissements à droite et au centre)
M. François Marc. - On pourrait dire beaucoup de choses sur l'histoire de la France et de ses langues.
M. Jean-Pierre Bel. - Et beaucoup de contre-vérités !
M. François Marc. - Oui, et nous en avons entendu ce soir ! En
réalité, les langues régionales minoritaires sont
en train de disparaître dans notre pays. Selon les
prévisions de l'Unesco et d'autres organisations
internationales, la moitié des langues devraient
s'éteindre durant les trente prochaines années dans le
monde.
Dans nos régions, 2 % au plus des enfants apprennent à
devenir des locuteurs réguliers de langues régionales.
Cela ne risque pas de mettre en danger l'unité de la
République ! La déclaration de la France précisant
que l'on pouvait ratifier la charte, signée sous le gouvernement
Jospin - gouvernement auquel appartenaient certains de nos
collègues- prenait des précautions pour éviter que
le texte ne serve à reconnaître ou protéger des
minorités. Si la charte était adoptée, la
préservation de notre patrimoine linguistique serait
assurée.
Nous voulions faire avancer les choses en ce sens. Madame le garde des
Sceaux, pouvez-vous confirmer votre engagement de débattre de
cette question très prochainement ? Cela serait
préférable à l'adoption d'un amendement
prévoyant des propositions nécessitant un
réexamen. Cela fait six ans que l'on nous répond en
remettant cette question à plus tard : votre engagement nous
laisserait espérer une solution acceptable pour les mois
à venir.
Mme Rachida Dati, garde des Sceaux. - Je vous confirme ce que je
vous ai dit tout à l'heure. Nous aurons ce débat lors de
la révision constitutionnelle qui suivra les travaux du
comité Balladur.
M. Philippe Richert. - Pour compléter l'intervention de M.
Muller, je précise que je suis un ardent défenseur des
langues régionales et, comme M. Alfonsi, j'ai appris - nous
l'appelons le dialecte- l'alsacien avant le français. Cependant,
il s'agit d'abord d'une affaire familiale. De nombreux donneurs de
leçons n'ont jamais appris la langue régionale à
leurs enfants.
Notre préoccupation, aujourd'hui, est de faire avancer l'Europe
et d'adopter le traité de Lisbonne, dont je suis un fervent
partisan. Le Bas-Rhin, comme toute la région Alsace, est
très favorable à l'apprentissage des langues
régionales, mais cette question n'a pas sa place dans notre
débat de ce soir. Et il faudra associer le ministre de
l'éducation nationale aux discussions à venir sur ce
point.
Voilà pourquoi, quoique défenseur des langues
régionales, je ne suis pas favorable à cet amendement.
(Applaudissements à droite)
M. François Marc. - Les auteurs de l'amendement souhaitent que l'amendement soit maintenu.
A la demande du groupe UMP, l'amendement n°5 rectifié bis est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants 259
Nombre de suffrages exprimés 251
Majorité absolue des suffrages exprimés 126
Pour l'adoption 29
Contre 222
Le Sénat n'a pas adopté.
Voila
la lettre envoyée à tous les
députés et
sénateurs de Provence, par
Région Provence, fédération
Provençale du
Partit Occitan. N'hésitez pas à les contacter
pour
soutenir cette initiative!
La
Constitution doit assurer la protection des langues
régionales